portrait
Carles Puigdemont, Monsieur Catalexit
Séparatiste, le président de la Catalogne espère que le nouveau pouvoir espagnol permettra l’indépendance.
Il est arrivé en retard, bien en retard, alors il s’excuse à plates coutures. Carles Puigdemont (prononcez : Karlas Poutchdémont) est un homme poli et policé, épris de bonnes manières, d’une naturelle courtoisie. Il ne faut pas lui en vouloir : en cette fin d’après-midi, le président de la Catalogne se trouve «coincé» dans l’hémicycle du Parlament, le parlement régional. Le combat dont il est le protagoniste n’a rien de très réjouissant. Les députés de son camp tentent de ficeler le délicat budget annuel et doivent pour cela négocier le moindre chiffre avec leurs alliés contre-nature de la CUP, une coalition anticapitaliste et antisystème. On lui pardonnera donc, et de bon cœur. D’autant que cet homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau au sélectionneur allemand, Joaquim Löw, cinquantaine fringante et chevelue (bien plus poivre que sel), énergie contagieuse et un quelque chose de juvénile dans le regard, semble de prime abord s’excuser d’exercer la fonction suprême de son «pays». Précisons que pour les nationalistes catalans, une bonne moitié des 7 millions d’habitants - a fortiori les séparatistes comme lui -, la notion de «pays» est aussi émotionnelle qu’indiscutable. Le monologue est le suivant : «Je suis d’essence catalane et de circonstance espagnole. Autrement dit, j’appartiens, bien malgré moi, à un "Etat" que je n’ai pas choisi.» Carles Puigdemont semble s’excuser, oui, il est par nature timide, modeste. Il a beau arborer d’élégantes lunettes et un impeccable veston noir sur chemise blanche, c’est comme si l’habit de «président de la Generalitat» (l’exécutif catalan, à Barcelone) était trop grand pour lui. «En tout cas, il faut s’y faire et apprendre. C’est un grand honneur.»
Il ne s’y attendait pas. En janvier, le «normal» Puigdemont, maire de Gérone, est catapulté à la présidence de la Catalogne. On a pensé à lui pour remplacer le sulfureux Artur Mas, calife régional depuis 2010 qui ne faisait pas l’unanimité dans les rangs de la coalition indépendantiste au pouvoir. Casier judiciaire vierge, sympathique, dialoguant : il a tout pour plaire. Le voici donc intronisé, et le paradoxe n’est que plus flagrant. Il n’a rien du «Moïse catalan» aux harangues messianiques qu’était Mas. Et pourtant, Puigdemont est entré en fonction avec un mandat clair : obtenir enfin l’indépendance de cette région pas comme les autres, où depuis un bon millénaire les velléités n’ont jamais manqué de se tailler un destin propre. «129 présidents de la Generalitat m’ont précédé au cours de notre histoire. Mais je suis le premier choisi pour conduire mon pays vers la liberté». Il prononce une phrase, pas une sentence. Pas étonnant. Si Mas s’est converti au séparatisme par calcul politique, Puigdemont est tombé lui dans la marmite depuis tout petit. Antifranquiste dès l’âge de 12 ans, ce fils et petit-fils de pâtissiers rêva vite de divorce avec l’Espagne. Ado, dans son village d’Amer près de la très catalanophone Gérone, son oncle Josep l’emmène à des meetings sécessionnistes. «Je ne ressens pas de haine contre l’Etat espagnol, mais un immense amour pour ma patrie. Dans les couples en conflit, la séparation est souvent la meilleure solution.» «Puigdi», comme l’appellent ses proches, est un vrai de vrai, acquis à la cause. Après avoir voulu décoller dans l’espace (il se voyait astronaute) et dans les sons (longtemps bassiste amateur), il adhère à sa terre. Linguiste militant, il décroche un diplôme en langue catalane, monte une association culturelle, prend racine à Gérone.
Cette idéologie sentimentale qui arrive aujourd’hui à défier Madrid, Carles Puigdemont y a largement contribué. Depuis 2006, lorsqu’il devient député de Convergència, une formation de centre droit qui ne cessera de se radicaliser contre le «diktat espagnol», il a connu toutes les étapes de cette dynamique centrifuge qui terrifie une majorité d’Espagnols. Lui-même psalmodie les étapes de cette Passion. D’abord le refus du Tribunal constitutionnel, en 2010, d’accorder une nouvelle autonomie à la Catalogne. Ensuite, les marches monstrueuses de la Diada, fête régionale annuelle dans les rues de Barcelone, depuis 2012. Et puis le référendum illégal de l’automne 2014, reflétant un désir majoritaire de rupture (même si la participation fut basse). Sans oublier le défi sécessionniste de l’Association des municipalités catalanes, dont il a été élu président l’an dernier. Et encore, en septembre 2015, le scrutin régional donnant une courte victoire à la coalition séparatiste. «En 2012, nous avions 14 députés pour la rupture. Aujourd’hui, 72. Il faudrait peut-être nous prendre au sérieux !» Arithmétiquement, son parti serait idéal pour construire une coalition au niveau national après les élections législatives de dimanche. Mais, politiquement, pour les autres, c’est un casse-tête.
Après le leave britannique, un Catalexit ? «Le Brexit est la preuve qu’on peut parfaitement prendre en Europe des décisions souveraines», réagit-il. «Les voyages soignent le nationalisme», dit-on souvent à Madrid pour moquer le «virus» sécessionniste. La maxime ne s’applique pas à lui. Puigdemont a parcouru maints pays pour rédiger un livre sur «les nations sans Etat». Il a cheminé en curieux viscéral, dans toutes les aires du journalisme, de simple reporter à rédacteur en chef du journal catalan El Punt. A bourlingué comme entrepreneur médiatique, créateur de l’Agència catalana de noticies (une agence de presse), puis à la tête de Catalonia Today (journal pour anglophones). Il a voyagé en Roumanie, pays d’origine de sa compagne, Marcela Topor, journaliste de télé de quinze ans sa cadette qui s’exprime dans un très bon catalan. Il l’a rencontrée à Gérone lors d’un festival de théâtre. Ils ont deux filles, Magali et Maria, 8 et 6 ans. Il accepte, pour faire plaisir à cette croyante fervente, d’observer les Pâques et le Noël orthodoxes. Fan de nouvelles technologies, twitto incontinent, Puigdemont dit voir loin. Dans son entourage, on aime le définir comme un «visionnaire efficace». Il le sait, la séparation d’avec l’Espagne est un projet fou. De Juncker à Merkel, les grands d’Europe ferment leurs portes à ce trublion centrifuge. Lui persiste et signe. Pragmatique : «Avant d’organiser un référendum, il faut consolider une majorité sociale favorable à la rupture.» Courageux (peut-être) : «S’il le faut, j’y laisserai ma peau. Je ne suis en politique que pour cela.» Inconscient (sûrement) : «Si je dois choisir entre l’obéissance à une décision du Tribunal constitutionnel espagnol, corrompu et espagnoliste, ou à la volonté du peuple catalan, je n’hésiterai pas une seconde». Quitte, lui demande-t-on, à risquer le cachot ? «Oui, monsieur.» En catalan, Puigdemont signifie «cime de la montagne».
29 décembre 1962 Naissance à Amer, en Catalogne.
1999 Fonde l’Agència catalana de noticies (ACN), sorte d’AFP régional.
2004 Directeur général de Catalonia Today.
2011 Maire de Gérone.
9 janvier 2016 Président de la Catalogne.
Il ne s’y attendait pas. En janvier, le «normal» Puigdemont, maire de Gérone, est catapulté à la présidence de la Catalogne. On a pensé à lui pour remplacer le sulfureux Artur Mas, calife régional depuis 2010 qui ne faisait pas l’unanimité dans les rangs de la coalition indépendantiste au pouvoir. Casier judiciaire vierge, sympathique, dialoguant : il a tout pour plaire. Le voici donc intronisé, et le paradoxe n’est que plus flagrant. Il n’a rien du «Moïse catalan» aux harangues messianiques qu’était Mas. Et pourtant, Puigdemont est entré en fonction avec un mandat clair : obtenir enfin l’indépendance de cette région pas comme les autres, où depuis un bon millénaire les velléités n’ont jamais manqué de se tailler un destin propre. «129 présidents de la Generalitat m’ont précédé au cours de notre histoire. Mais je suis le premier choisi pour conduire mon pays vers la liberté». Il prononce une phrase, pas une sentence. Pas étonnant. Si Mas s’est converti au séparatisme par calcul politique, Puigdemont est tombé lui dans la marmite depuis tout petit. Antifranquiste dès l’âge de 12 ans, ce fils et petit-fils de pâtissiers rêva vite de divorce avec l’Espagne. Ado, dans son village d’Amer près de la très catalanophone Gérone, son oncle Josep l’emmène à des meetings sécessionnistes. «Je ne ressens pas de haine contre l’Etat espagnol, mais un immense amour pour ma patrie. Dans les couples en conflit, la séparation est souvent la meilleure solution.» «Puigdi», comme l’appellent ses proches, est un vrai de vrai, acquis à la cause. Après avoir voulu décoller dans l’espace (il se voyait astronaute) et dans les sons (longtemps bassiste amateur), il adhère à sa terre. Linguiste militant, il décroche un diplôme en langue catalane, monte une association culturelle, prend racine à Gérone.
Cette idéologie sentimentale qui arrive aujourd’hui à défier Madrid, Carles Puigdemont y a largement contribué. Depuis 2006, lorsqu’il devient député de Convergència, une formation de centre droit qui ne cessera de se radicaliser contre le «diktat espagnol», il a connu toutes les étapes de cette dynamique centrifuge qui terrifie une majorité d’Espagnols. Lui-même psalmodie les étapes de cette Passion. D’abord le refus du Tribunal constitutionnel, en 2010, d’accorder une nouvelle autonomie à la Catalogne. Ensuite, les marches monstrueuses de la Diada, fête régionale annuelle dans les rues de Barcelone, depuis 2012. Et puis le référendum illégal de l’automne 2014, reflétant un désir majoritaire de rupture (même si la participation fut basse). Sans oublier le défi sécessionniste de l’Association des municipalités catalanes, dont il a été élu président l’an dernier. Et encore, en septembre 2015, le scrutin régional donnant une courte victoire à la coalition séparatiste. «En 2012, nous avions 14 députés pour la rupture. Aujourd’hui, 72. Il faudrait peut-être nous prendre au sérieux !» Arithmétiquement, son parti serait idéal pour construire une coalition au niveau national après les élections législatives de dimanche. Mais, politiquement, pour les autres, c’est un casse-tête.
Après le leave britannique, un Catalexit ? «Le Brexit est la preuve qu’on peut parfaitement prendre en Europe des décisions souveraines», réagit-il. «Les voyages soignent le nationalisme», dit-on souvent à Madrid pour moquer le «virus» sécessionniste. La maxime ne s’applique pas à lui. Puigdemont a parcouru maints pays pour rédiger un livre sur «les nations sans Etat». Il a cheminé en curieux viscéral, dans toutes les aires du journalisme, de simple reporter à rédacteur en chef du journal catalan El Punt. A bourlingué comme entrepreneur médiatique, créateur de l’Agència catalana de noticies (une agence de presse), puis à la tête de Catalonia Today (journal pour anglophones). Il a voyagé en Roumanie, pays d’origine de sa compagne, Marcela Topor, journaliste de télé de quinze ans sa cadette qui s’exprime dans un très bon catalan. Il l’a rencontrée à Gérone lors d’un festival de théâtre. Ils ont deux filles, Magali et Maria, 8 et 6 ans. Il accepte, pour faire plaisir à cette croyante fervente, d’observer les Pâques et le Noël orthodoxes. Fan de nouvelles technologies, twitto incontinent, Puigdemont dit voir loin. Dans son entourage, on aime le définir comme un «visionnaire efficace». Il le sait, la séparation d’avec l’Espagne est un projet fou. De Juncker à Merkel, les grands d’Europe ferment leurs portes à ce trublion centrifuge. Lui persiste et signe. Pragmatique : «Avant d’organiser un référendum, il faut consolider une majorité sociale favorable à la rupture.» Courageux (peut-être) : «S’il le faut, j’y laisserai ma peau. Je ne suis en politique que pour cela.» Inconscient (sûrement) : «Si je dois choisir entre l’obéissance à une décision du Tribunal constitutionnel espagnol, corrompu et espagnoliste, ou à la volonté du peuple catalan, je n’hésiterai pas une seconde». Quitte, lui demande-t-on, à risquer le cachot ? «Oui, monsieur.» En catalan, Puigdemont signifie «cime de la montagne».
29 décembre 1962 Naissance à Amer, en Catalogne.
1999 Fonde l’Agència catalana de noticies (ACN), sorte d’AFP régional.
2004 Directeur général de Catalonia Today.
2011 Maire de Gérone.
9 janvier 2016 Président de la Catalogne.
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